Points de vues

À propos de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015 relatif à la neutralité du cours de morale

 

Entretien entre Cathy Legros, inspectrice honoraire du cours de morale et Alain Bartholomeeusen, avocat à l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles.


1.- En se fondant sur les critères dégagés par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), la Cour constitutionnelle a estimé que le cours de morale non confessionnelle avait perdu sa neutralité dans la mesure où il ne revêtait pas « un caractère objectif, critique et pluraliste ». Qu’en pensez-vous ?

Si, à juste titre, la Cour constitutionnelle a adopté le critère de la neutralité tel que l’a défini, à plusieurs reprises, la CEDH, elle n’a toutefois pas adopté la méthode de la Cour européenne, savoir, l’examen concret et circonstancié du programme et du contenu du cours.

Elle n’a donc pas examiné si le cours de morale était dispensé de façon neutre et objective. Or, l’adoption par la Cour constitutionnelle des critères dégagés par la CEDH imposait nécessairement l’utilisation de sa méthode. Bref, pour arriver à sa conclusion, la Cour, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, ne s’est jamais prononcé sur le caractère objectif, critique et pluraliste du contenu du cours de morale. Elle a simplement examiné les textes légaux qui organisaient le cours de morale.

De ce point de vue, on comprend aisément l’ire des professeurs de morale mais aussi le caractère nécessairement limité et superficiel de l’analyse de la Cour, laquelle ne s’est pas attachée au contenu de l’enseignement dispensé.

2.- Sur quels arguments la Cour constitutionnelle s’est-elle alors fondée ?

En synthèse, elle s’est fondée sur trois arguments. Le premier, de nature socio-historique, est fondé sur une modification implicite de la Constitution. Le deuxième est fondé sur une interprétation de l’obligation de neutralité du décret du 31 mars 1994 et le troisième, sur une appréciation de la notion de libre examen telle qu’elle est prévue par le décret.

Essentiellement, il s’agit de trois arguments de texte, lesquels ne manqueront pas de susciter la critique.

3.- Evoquons le premier argument

Le premier argument procède d’un raisonnement qui s’articule de la manière suivante : dans la mesure où le constituant a décidé en 1993 d’accorder la reconnaissance (constitutionnelle) à des organisations (reconnues par la loi) qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle (art. 181 Const.), il convient de traiter le cours de morale, en raison de « l’évolution » sur le même plan.

4.- Comment apprécier ce raisonnement ?

A tort, la Cour confond deux matières distinctes visées par la Constitution, d’une part celle de l’assistance morale non confessionnelle (art. 181 Const.) et, d’autre part le cours de morale non confessionnelle (art.24 Const.). On peine à percevoir comment l’un serait « l’évolution » de l’autre. La Cour ne démontre ni ne justifie d’ailleurs son argument.

L’article 24 de la Constitution garantit dans le cadre d’un enseignement neutre la liberté d’enseignement et prévoit précisément le droit pour tous les élèves à une éducation morale et religieuse et donc le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui d’une morale non confessionnelle.

La Cour constitutionnelle n’a pas mesuré la portée implicite de son raisonnement. À la suivre, il conviendrait de considérer que la Communauté Wallonie-Bruxelles n’organiserait pas un cours de morale non-confessionnelle conformément à l’article 24 de la Constitution, mais bien un cours de morale « cultuelle » non-confessionnel ?!

Si telle avait été son intention, on peut s’interroger sur la raison pour laquelle le constituant n’a pas estimé, à l’époque, devoir modifier l’article 24 de la Constitution.

A l’inverse, le cours de morale est précisément fondé sur la neutralité, et il ne viendrait à l’esprit d’aucun d’exiger cette neutralité de la part du Conseil central des communautés philosophiques de Belgique et des associations qui le constituent.

Assurément, le contenu du cours de morale ne doit pas faire l’objet d’une reconnaissance préalable du CAL et les professeurs de morale sont directement désignés par la Communauté Wallonie-Bruxelles !

Le raisonnement de la Cour impliquerait en outre qu’eut lieu une modification tacite ou implicite de la Constitution, ce qui constitue une hérésie juridique.

Si l’on suit le raisonnement de la Cour constitutionnelle, chaque parent d’élève serait tout simplement en mesure de faire le reproche à la Communauté Wallonie-Bruxelles, d’organiser en son sein un tel type de cours dans la mesure où il serait nécessairement cultuel, donc non neutre, et … en conséquence… de le faire interdire !

5.- Venons-en au deuxième argument de la Cour fondé sur le décret neutralité du 31 mars 1994

En effet, la Cour constitutionnelle estime qu’en vertu du décret du 31 mars 1994 sur la neutralité, les professeurs de morale à l’instar des professeurs de religion ne sont pas soumis à la même obligation de neutralité que les autres enseignants.

Cette affirmation est tout simplement erronée et procède d’une analyse inexacte du décret du 31 mars 1994.

Il va de soi que l’obligation pour tous les professeurs de s’abstenir de témoigner en faveur d’une religion fut simplement soulevée par le législateur pour les professeurs de religion et ne s’applique pas aux professeurs de morale qui, osons la lapalissade, ne dispensent pas de cours de religion.


6.- Qu’en est-il du troisième argument relatif au libre examen ?

Suivant la Cour, le cours de morale aurait perdu sa neutralité en raison du fait que l’article 5 du décret du 31 mars 1994 n’est pas intitulé « cours de morale », mais bien « cours de morale inspirée par l’esprit de libre examen ».

Suivant la Cour, cette disposition ne garantirait pas que le cours de morale « diffuse des informations ou des connaissances de manière à la fois objective, critique et pluraliste » conformément à la jurisprudence de la CEDH.

7.- Qu’en pensez-vous ?

On chercherait en vain dans l’arrêt de la Cour une quelconque justification à son affirmation.
Commençons par le plus simple et retournons l’affirmation : comment un cours de morale qui ne se déploierait pas suivant un examen libre de la part de ses professeurs pourrait-il être estimé neutre ?

La référence au libre examen dans un décret sur la neutralité de l’enseignement pouvait-elle signifier autre chose que l’obligation de dispenser un enseignement non prosélyte ou non dédicacé à une morale particulière ? Si l’on sait que le principe du libre examen impose simplement le rejet de tout argument d’autorité en matière intellectuelle et ce quelle que soit l’autorité et quel que soit le domaine intellectuel concerné, on ne perçoit pas en quoi il serait en contradiction avec un enseignement dispensé de manière objective, critique et pluraliste.

Que signifie la référence au libre examen sinon, précisément, la proscription d’un quelconque endoctrinement ou prosélytisme ?

C’est évidemment en raison du fait qu’il ne s’appuie sur aucune religion, aucune métaphysique ou aucune morale particulières, que la matière enseignée dans le cours de morale se devait d’être inspirée par le libre examen. À cet égard, on peut s’interroger sur la raison pour laquelle la Cour Constitutionnelle n’a pas vu ce qui s’impose aujourd’hui comme une évidence… que le libre examen, lequel renvoie à la liberté d’examiner s’impose non comme le fait d’une morale particulière mais le droit fondamental de chaque élève à se voir dispensé un enseignement neutre et objectif conformément aux critères de la CEDH.
Imagine-t-on aujourd’hui, tous réseaux et toutes disciplines confondus, un enseignement qui ne fût pas inspiré par le libre examen ?

8.- Différentes associations dont le CAL ou la FAPEO saluent l’arrêt en tant que l’on sortirait d’une « sorte d’hypocrisie »

Si telle est leur position, elles se trompent.

D’une part, la neutralité de l’enseignement, précisément, n’est pas cultuelle. D’autre part, le libre examen n’appartient à aucune association, fût-elle reconnue. Se revendiquer du libre examen est légitime, se l’approprier à la faveur des circonstances, c’est aller à son encontre. On ne dépose pas un brevet sur les idées.

9.- Quelle solution proposez-vous ?

En premier, une solution toute simple mais nécessaire. Il s’impose de redéfinir les textes relatifs à la neutralité du cours de morale en vue de rendre ceux-ci, aux vœux de la Cour Constitutionnelle, conforme à l’obligation de neutralité de l’enseignement de la Communauté Wallonie-Bruxelles.

Ensuite, si l’organisation d’un cours de citoyenneté s’avère également souhaitable, prendre le temps de la réflexion sans sacrifier au diktat du sentiment d’urgence que suscite l’arrêt de la Cour constitutionnelle.

Il existe toutefois cette évidence dans le chef des professeurs de morale que la citoyenneté est consubstantielle à leur enseignement. Et que dès lors qu’ils ont été d’emblée, comme tous les enseignants des cours généraux, soumis à la neutralité telle que définie par le décret de 1994, il s’impose de les associer à l’élaboration de ce cours commun pour tous les élèves.