Lu pour vous
Conférence de M. Wieviorka sur la diversité
Le 20.11.2008 au CAL Communautaire
En cette année du dialogue interculturel, voici l’écho d’une conférence organisée par le CAL communautaire le 20 novembre. L’invité était Michel Wieviorka, successeur d’Alain Touraine et directeur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris, venu nous présenter son Rapport sur la diversité.
Le sociologue français est connu pour ses travaux consacrés à la violence, au terrorisme, aux mutations de la société, il est généralement classé à gauche.
Dans « 9 leçons de sociologie », paru chez Laffont cette année, il tente de démontrer comment les identités culturelles et religieuses continuent d’apporter des repères solides aux individus et aux groupes.
Dans son Rapport sur la diversité, paru en novembre 2008, mettant l’accent sur le conflit entre l’idéal républicain d’intégration et la reconnaissance d’une société multiculturelle, l’auteur fait le point sur les grands changements qu’a connu
la France.
Le Rapport, commandé par
la Ministre de l’enseignement supérieur, s’est fondé sur l’audition de 80 personnes et se termine par 47 propositions concrètes visant à introduire plus de diversité dans l’enseignement supérieur.
Dans sa conférence, le sociologue nous a permis de réfléchir avec lui sur la notion même de diversité.
Remettant les choses en contexte, il nous a rappelé que c’est Nicolas Sarkozy qui a proposé de réfléchir à l’introduction du mot diversité dans
la Constitution française.
Certes le mot est passe partout, au moins il a une connotation positive contrairement à d’autres mots comme ethnicisation, multiculturalisme c’est aussi un mot promu par l’écologie : « biodiversité ».
C’est également un mot flou, car jusqu’où va la « diversité »: est-ce que les handicaps, les langues minoritaires, la diversité ethnique, religieuse, raciale rentrent dans le vocable ?
Le mot évoque à la fois la reconnaissance des différences culturelles et l’idée de lutte contre les discriminations : il fédère ces 2 registres, selon Michel Wieviorka, c’est là un de ses avantages.
De plus le mot diversité nous dit très clairement d’arrêter de penser en termes d’homogénéité de la pensée, ou en faveur d’un seul système de valeurs et nous permet de rompre avec la vision du monde selon un modèle évolutionniste.
Ainsi, selon l’auteur, le mot diversité évoque la possibilité de vivre ensemble dans nos différences.
Il nous rappelle aussi que le mot lui-même est fortement lié au contexte socio-politique, c’est pourquoi, Michel Wieviorka considère qu’il faut éviter de le sacraliser en l’inscrivant dans
la Constitution, considérant qu’il vaut beaucoup mieux laisser le temps à la société de l’intégrer et de le digérer .
Le sociologue retrace ensuite à grands traits la part de l’histoire française des 30 dernières années qui a porté sur la question de l’identité au sens large.
A la fin des années 60, apparaissent des revendications culturelles visant une plus grande visibilité des… bretons, des femmes des homosexuels et des sourds muets.
A partir des années 80,
la France découvre l’islam, la première affaire de foulard remonte à 1989 ensuite ce sera la demande de reconnaissance du génocide arménien.
Dans les années 90, il y aura une demande de reconnaissance des effets néfastes de l’esclavage et de la colonisation.
C’est un mouvement de fond : toutes sortes d’identités demandent à exister publiquement.
Parallèlement à ce mouvement de fond, on observe un changement dans le débat public français : faut-il faire de la discrimination positive, des ZEP ?
Une Commission est créée pour supprimer les lois mémorielles risquant d’encourager la concurrence des victimes.
A partir des années 2000, le monde de l’entreprise se déclare intéressé par la diversité : 1700 entreprises signent une Charte de la diversité. L’enjeu est bien entendu économique : s’ouvrir à la mondialisation, c’est avoir une vue globale, c’est aussi pouvoir présenter une palette de managers de toutes origines, de plus des pans entiers de marché doivent tenir compte de la diversité ethnique.
A cela il faut ajouter que le monde médical et pharmaceutique prend conscience que la recherche médicale doit tenir compte de la diversité : le métabolisme d’un Japonais et d’un Français diffère, certaines maladies génétiques sont propres à certains groupes humains, à priori ce n’est donc pas faire de la discrimination raciale que de dépister certaines maladies génétiques.
Dans le domaine de l’enseignement supérieur, on assiste à une demande plus pressante « d’accomodement » en matière de dates d’examen pour cause religieuse, d’avoir des lieux de prière sur les sites universitaires.
Certaines études portant sur la population estudiantine mettent en évidence une discrimination indirecte : la difficulté de trouver un stage ou un job en fin d’études pour les porteurs d’un prénom arabo musulman.
Les enseignants ramènent systématiquement ces plaintes à une question plus large de discrimination sociale touchant les couches les plus défavorisées des étudiants or depuis les années 90, des études semblent démontrer que le racisme est vécu aujourd’hui comme un problème de discrimination à connotation ethnique plutôt que sociale.
La question des statistiques ethniques a été évoquée de façon assez lapidaire faute de temps.
Retenons quelques éléments de réflexion situant le point de vue de Michel Wieviorka : s’il existe bien des études, des travaux à caractère sociologique et journalistique situant certaines communautés comme les homosexuels, les juifs de France, on ne peut les considérer comme des statistiques ethniques. De même, le CRAN a effectué un sondage auprès de 15.000 noirs de France leur demandant notamment s’ils avaient déjà vécu de la discrimination : cette étude se fondant sur l’auto déclaration volontaire et visant la lutte contre la discrimination ne peut être assimilée à des statistiques ethniques qui, elles, figent arbitrairement une représentation ethnique de la société.
L’intérêt de cette conférence et du débat qui s’ensuivit fut aussi de favoriser une vision décentrée dans la mesure où, face à des mutations sociales semblables, on peut prendre conscience de la palette des réponses possibles.
Il reste à lire son ouvrage et à prendre connaissance des 47 recommandations pour introduire plus de diversité dans l’enseignement supérieur.