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Compte-rendu d’une formation aux droits humains : la lutte contre l’extrême droite
Cette formation, fort riche, a consisté en divers exposés, débats et ateliers à l’attention des citoyens et associations désireuses de développer une conscience des « droits humains ».
Un dossier comportant divers documents intéressants pour une analyse plus approfondie accompagne la formation. Il est joint à notre numéro.
Ce dossier contient les principaux textes législatifs au niveau national, européen et international servant de bases légales à la lutte contre l’extrême droite, à savoir : les articles 10, 11 et 191 de la Constitution Belge, le texte de la D.U.D.H., la loi du 20 janvier 2003 relative au renforcement de la législation contre le racisme (modifi-cations de la loi du 30 juillet 1981), les modifications de la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme ; la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie ; la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimalisation, la justifi-cation ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale ; la directive 2000/43 du Conseil de l’Union Européenne relative à la mise en œuvre de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ; les recommandations aux éditeurs en matière d’expression de discrimination ou de haine du 9 mars 2005.
Le dossier comporte également, en 2ème partie, une étude de Jérôme Jamin, chercheur au C.E.D.E.M., sur le contexte socio-économique, les conditions d’émergence et l’électorat de l’extrême droite de 1989 à 2004 ; un historique de l’extrême droite en Belgique (1920 à 2000), une étude portant sur le programme du Front National pour les élections régionales et européennes de 2004 ; les grandes caractéristiques de l’extrême droite en 27 thèmes.
En 3ème partie, le dossier reprend des textes pouvant servir d’outils de réflexion, à débattre :
– Des outils démocratiques pour lutter contre l’extrême droite par J. Jamin.
– Stratégies de lutte contre l’extrême droite par l’Association Namur Anti-fasciste.
– Que faire contre le Blok? Texte du Morgen du 24/11/98, repris dans le Soir du 26/11/98 de Hugo Gijsels, M. Abramowicz et W. Haelsterme.
– Femmes et extrême droite : texte de 1998 analysant le rôle dévolu aux femmes dans les discours d’extrême droite.
– Populisme, démagogie et démocratie : limites et frontières par A. Tixhon, Professeur d’histoire contemporaine à la F.U.N.D.P., Namur.
Un dossier de presse reprenant divers articles sur le thème, citons par exemple « Le choc, la chute et les casseroles » ; « Extrême droite et médias : avec ou sans décodeur ? » (février 2005) ; « Education et lutte contre l’extrême droite : contre le populisme, l’acceptation de la complexité » (chronique n°102, 2004) ; « l’extrême droite : des bancs de l’école au banc de la société »(chronique n°202, 2004) ; « Médias, un rôle éducatif face à l’extrême droite » (chronique n° 100, 2003) ; « La presse face à l’extrême droite » (Nouvelle tribune n°33, août 2003)
Une bibliographie ainsi que des adresses d’associations.
Pour reprendre le contenu des exposés :
A propos des textes fondamentaux et de la hiérarchie des normes juridiques en Belgique par Manuel Lambert.
Le droit est avant tout un outil pour promouvoir des valeurs et donc il évolue avec le temps. Pour rappel, trois des principes fondamentaux à la base de l’Etat de droit en Belgique :
1er principe : La Constitution, qui contient les règles de base de la structure politique et qui définit les droits et libertés du citoyen.
A cela il faut ajouter les niveaux de pouvoir et compétences associées à la fédéralisation de l’Etat belge.
2ème principe : La séparation des pouvoirs, ce concept a évolué, on parle aujourd’hui d’équilibre des pouvoirs plutôt que de séparation complète des pouvoirs; en outre, suite au développement d’une certaine particratie et à des attaques contre le pouvoir judiciaire, l’équilibre des pouvoirs est parfois mis à mal.
3ème principe : L’organisation du pouvoir judiciaire.
Au niveau européen, la Belgique doit tenir compte, dans ses décisions, des trois piliers sur lesquels repose la construction européenne au plan juridique : l’organisation de la C.E.C.A., la politique étrangère et de sécurité commune (défense) et la coopération policière en matière de justice et d’affaires intérieures.
Etant donné l’origine économique de la C.E., les aspects de protection des Droits de l’Homme n’ont pas été prévus à l’origine. Il a fallu attendre les années 90 avant de voir se développer des instruments de protection des droits fondamentaux.
Par contre, le Conseil de l’Europe est l’institution la plus ancienne (1949), créée pour promouvoir les Droits de l’Homme en Europe.
Différentes institutions européennes défendent les droits de première et de deuxième génération : la Cour Européenne des Droits de l’Homme (respect de droits de la première génération) est ouverte aux particuliers, le Comité Européen des Droits Economiques et Sociaux, le Comité Européen contre le racisme et l’intolérance, la Commission des Droits de l’Homme.
Au niveau international, la Belgique fait partie des 191 Etats représentés à l’O.N.U.
Faut-il rappeler que les recom-mandations de l’A.G. ont seulement une force morale, que le Conseil Economique et Social établit des politiques, que la Cour Internationale de Justice est ouverte seulement aux Etats ?
Toutes ces structures produisent des règles juridiques qui s’imposent à l’Etat belge selon une certaine hiérarchie.
En droit interne, la norme la plus forte est la Constitution (représentation du « Corps Social »), le texte de 1831 crée les institutions et fixe les balises.
Ensuite vient la loi, comme acte du législatif fédéral (proposition, projet).
Sur le plan communautaire, les décrets et ordonnances ont force de loi.
Viennent ensuite les Arrêtés Royaux qui sont des règles de l’exécutif (soumis au contrôle du Conseil d’Etat), les arrêtés ministériels et les circulaires (Directives, Instructions) ministérielles, obligatoires pour les fonctionnaires.
Viennent ensuite les règlements provinciaux et communaux.
A cela il faut ajouter les normes juridiques provenant des institutions européennes :
Les règlements : généraux, obligatoires, immédiats.
Les directives : standards pour harmoniser les systèmes juridiques européens.
Sur le plan international, deux grands principes gouvernent la production des normes juridiques : la souveraineté des Etats et l’égalité des Etats.
Faut-il rappeler que la D.U.D.H. n’est pas un acte juridique contraignant, qu’elle n’a pas de caractère obligatoire.
Les Etats peuvent signer des Traités et décider ensuite de les ratifier, alors seulement le traité est obligatoire.
L’O.N.U. et le Conseil de l’Europe fixent également des règles.
Quand des normes entrent en conflit : c’est la norme inférieure qui s’efface devant la norme supérieure (la plus large).
Si une loi est contraire à la Constitution, la Cour d’Arbitrage peut trancher.
Si un arrêté royal est contraire à une loi/décret, cela passe devant le Conseil d’Etat.
Si une norme internationale entre en conflit avec une loi nationale, c’est le droit international qui prime pour autant que cela ait des effets directs sur les particuliers.
Au niveau international
Les trois générations des Droits de l’Homme n’ont pas la même force (droits civils et politiques au 18ème S., droits économiques et sociaux au 19ème S., droit de solidarité, paix et environnement au 20ème S.).
Deux pactes : le pacte de New York (ou Pacte International relatif aux droits civils et politiques) et le Pacte International des Droits Economiques, Sociaux et Culturels n’ont un caractère contraignant que pour les Etats qui les ont signés !
Le P.I.D.E.S.C. n’a pas eu de couverture juridique car il n’a pas été possible de faire ratifier des droits qui coûtent trop cher aux Etats (ex. : le droit au logement) c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu création d’un Comité pouvant recevoir les plaintes de non-respect des règles fixées par le Pacte International sur les Droits économiques, sociaux et culturels.
Par contre en 1965, on a créé un Comité compétent pour faire respecter la Convention visant l’élimination des discriminations raciales.
En Belgique
• La loi anti-racisme de 1981 adopte une définition très large de la discrimination raciale.
Il s’agit d’une loi pénale qui a eu toutefois un impact assez limité étant donné la difficulté d’administrer la preuve de l’infraction.
• La loi du 23 mars 1995 réprimant le négationnisme malheureusement limité au génocide juif (débat autour du génocide arménien).
• En 2003, la loi du 25/02/2003 introduit les notions d’égalité de traitement sans distinction de race, d’origine ethnique, d’orientation sexuelle et de religion (en matière d’emploi) d’handicap ou état de santé, ascendance.
La loi du 21/01003 améliore la loi Moureaux.
Citons différents acteurs dans le droit international :
Différents acteurs dans le droit international au sujet des Droits de l’Homme :
L’O.N.U., le Conseil de l’Europe,
l’O.I.T., l’O.M.S.
Les Etats ont l’obligation de promouvoir, respecter les Droits de l’Homme.
Les O.N.G. ont une influence sur le droit international par le lobbying (les rapports alternatifs).
Les particuliers peuvent créer une jurisprudence par leurs actes (Arrêts de la Cour Européenne font juris-prudence, malheureusement il n’y a pas de Comité chargé de faire respecter l’arrêt par un Etat récalcitrant).
Le Comité des Droits de l’Homme reçoit des rapports annuels des Etats mais aussi des contre rapports d’O.N.G., il rend ensuite son propre rapport d’ordre moral qui peut être un levier pour faire avancer les choses.
Il y a aussi des requêtes ou commu-nications individuelles et la Cour d’Arbitrage, Cour Constitutionnelle, a compétence pour la partie de la Constitution qui traite des discriminations.
Voici quelques exemples de mécanismes de lutte juridique contre l’extrême- droite.
– Les Cours et tribunaux :
L’article 150 de la Constitution, modifié en 1999, permet de juger les délits politiques et de presse relatifs à la xénophobie et au racisme devant les tribunaux de 1ère instance.
-Le Pacte Culturel lié à la régionali-sation de l’Etat (en 1973) permet de garantir la protection des tendances philosophiques et politiques sur base du pluralisme dans les organismes publics, pour autant que les utilisateurs respectent les règles de la démocratie.
La Commission permanente du Pacte Culturel peut être saisie par tout acteur politique ou culturel en Belgique, en ce y compris les partis d’extrême-droite.
Par ex : Même si le Vlaams Belang a abandonné son programme en 70 points, le contenu idéologique reste le même ; la Commission reste divisée sur l’irrecevabilité de la plainte du Vlaams Belang.
-Le protocole entre la Poste et le Centre pour l’Egalité des Chances : établit que, si la Poste a des doutes sur le contenu idéologique des toutes boîtes du Vlaams Belang., elle peut obtenir un avis du Centre pour l’égalité des chances dans les 48 heures.
Le Conseil d’Etat, saisi par le VlB, a considéré que 40 jours avant les élections, le VlB peut informer les citoyens de son programme.
-La Commission de Protection de la vie privée
-L’interdiction des partis d’extrême droite : si, dans le champ du débat démocratique, notre interlocuteur politique est un adversaire, dans le champ juridique, c’est un « ennemi » s’il utilise la démocratie contre la démocratie et donc lui refuser l’accès aux médias est un principe juridiquement admis par la Convention européenne des droits de l’homme, pour autant que l’on puisse prouver qu’un parti politique défende(dans ses statuts ou ses actes) des principes contraires aux principes contenus dans la Convention européenne des Droits de l’Homme.
La loi du 23 juin1999, relative au financement des partis politiques, déclare que l’Etat ne peut financer les partis liberticides. Les arrêtés d’application viennent d’être votés en septembre 2005.
Depuis lors une procédure a été lancée contre Philippe Dewinter par le MRAX ; le SPA, le Cdh et Ecolo ont saisi la Commission des Affaires électorales qui a déposé plainte au nom de la loi du 26 juin 1999 auprès du Conseil d’Etat à qui il incombe de constater le caractère non démocratique d’un parti.
Analyse critique de la loi de 1981 dite « Loi Moureaux »
Sur le plan international, l’idée d’une loi condamnant le racisme est née dans les années 60 dans le cadre de la Convention de New York.
En Belgique, il a fallu attendre les années 80, marquées par des attentats racistes, les camps d’entraînement du V.M.O., les ratonnades du Front de la Jeunesse et des attentats anti-sémites pour que se concrétise la loi Moureaux destinée à punir les organisations prônant des idées racistes.
D’une simple opinion, le racisme est devenu un délit. Cette loi de 1981 a permis aux associations d’intervenir en tant que partie défendantes des personnes lésées.
Au début, la loi n’est pas prise au sérieux : peu de plaintes, des affaires classées sans suite ; la loi a surtout une fonction préventive et éducative et son caractère pénal crée un problème : celui d’apporter la preuve des discriminations en matière d’embauche (art 2) et de promotion (art 2bis).
Ensuite, les choses évoluent : en 2001 des amendements concernant la charge de la preuve et la protection de la victime sont votés ; l’article 5 prévoit la possibilité d’une action collective et l’article 4 aggrave la peine si l’infraction est commise par un fonctionnaire.
Des sanctions civiles sur les employeurs ont permis d’opérationnaliser davantage la loi, par exemple : des procédures civiles (loi du 25/02/2003, directives 43 et 48) permettant de « réparer » une discrimination par une « action en cessation » par exemple en matière de test d’embauche discriminatoire.
Trois organisations d’extrême droite ont été condamnées sur base de l’article 3 qui prévoit de punir l’appartenance à un groupe qui pratique la discrimination de manière organisée (…), même si cette loi de 1981 ne vise pas toutes les situations de discrimination ; elle a été complétée par les lois du 15/02/1993 et du 20/01/2003.
Aujourd’hui, on ne trouve plus les mêmes tracts d’extrême droite qu’il y a 10 ans :
les organisations d’extrême droite font très attention à ne pas tomber sous le coup de la loi dans leur propagande écrite, électorale (voici un argument supplémentaire pour pratiquer une éducation pointue à l’esprit critique et aux médias).
Même si le combat contre les discriminations a évolué grâce notamment à une protection juridique accrue, la vigilance et la nécessité de réactions citoyennes demeure.