Points de vues
Agir sur le long terme par Peggy Snoeck
Suite aux événements : agir sur le long terme
« Le souvenir des conflits d’hier contribue à provoquer ceux de demain. Il est temps d’échapper à ce cercle vicieux. Pour cela il faut apprendre que cet autre est pour nous une source. Notre effort doit être non de le combattre, mais de le rencontrer. Pour mettre un terme définitif aux guerres, la seule issue est de développer l’art de la rencontre » Mon utopie Albert Jacquard-Stock-2006 p 119
Aborder les événements récents dans des classes à majorité musulmane est un exercice périlleux et difficile.
Je salue avec infiniment de respect les enseignants qui ont pris ce risque. Ils savaient qu’ils s’exposaient à entendre des opinions inacceptables pour eux, ils savaient qu’ils s’exposaient à des propos violents.
C’est extrêmement difficile, voire impossible, sauf si de longue date, on a appris à faire la différence entre personne et opinion, entre personne et comportement, sauf si, de longue date chaque élève sait qu’il peut être respecté en tant qu’humain même si on si on ne partage ni sa culture, ni sa religion, ni ses opinions, sauf si, de longue date l’art de la rencontre a été cultivé.
Cela commence dès la maternelle et tout au long de la scolarité, par des échanges à propos de petites choses : un moment où on se sent bien, une odeur qui nous rappelle un souvenir, une réussite…. Échanges durant lesquels on apprendra à oser partager, apprendre à dire et à écouter.
L’art de la rencontre s’apprend. Il est la base de l’esprit démocratique et a un besoin urgent de formation.
La condition indispensable au dialogue est la satisfaction de certains de nos besoins essentiels : reconnaissance, valorisation, amour de soi.
Tant que l’école ne fera pas de ces besoins une priorité, on continuera à voir monter une violence aveugle, destructrice.
Les victimes deviennent souvent des bourreaux, les bourreaux deviennent souvent des victimes.
L’école devrait devenir le lieu où apprendre à traverser ses peurs, peurs d’être jugé, d’être incapable, de ne pas réussir, d’être indigne
Nous avons des outils performants qui ont été largement expérimentés. À nous de les employer, systématiquement, dans diverses disciplines. Parmi eux deux pratiques complémentaires l’une plus affective, les cercles de parole du programme de développement affectif et social, l’autre plus rationnelle, les discussions à visées philosophiques de Lippmann.
On peut intégrer dans chaque discipline l’apprentissage du respect de soi et de l’autre. On peut éduquer parallèlement l’intelligence émotionnelle et rationnelle.
Charles Rosjman, qui depuis de nombreuses années travaille à former des intervenant sociaux dans des lieux où règnent racisme et violence nous dit dans « la peur, la haine et la démocratie » [1]
« J’en suis arrivé à penser qu’à travers la question du racisme, de la xénophobie, de la violence, de la peur, de la haine, il est possible de mieux saisir les conditions nécessaires à l’exercice de la démocratie…
Toutes les actions menées dans les banlieues ont pratiquement échouées parce qu’elles ne tenaient pas compte de l’importance de facteurs affectifs et relationnels
Si l’individu ne change pas en même temps, les structures nouvelles redeviendront des structures d’oppression…la transformation de l’individu est inséparable de la transformation sociale »
L’école a un rôle prépondérant.
Je crois avoir démontré que pour moi, seule l’action à long terme est efficace : la pratique de méthodologies de la rencontre tout au long de la scolarité.
Si je parle souvent des cercles de parole du programme de développement affectif et social, c’est que je suis à l’aise dans cette méthodologie que j’ai expérimentée pendant 30 ans et que j’expérimente encore. Elle ne me paraît ni plus ni moins importante que d’autres procédés. Je la connais simplement mieux.Je trouve que les cercles de parole suscitent des questions et peuvent se prolonger par de discussions à visées philosophique.
J’adore introduire les cercles ou les arrimer à de la littérature jeunesse ou à des contes, à des jeux (souvent issus de « Class room of difference » ou de « Drama »).
J’ai pensé pour entre-vues quelques séquences de leçons (cliquer ici pour des séquences ProDAS ) pour l’enseignement primaire et le début du secondaire autour des préjugés.
Il serait dramatique que les évènements du 7 janvier alimentent l’islamophobie qui a son tour alimentera l’antisémitisme.
Sans aborder de front ce sujet, nous pouvons indirectement faire réfléchir nos élèves sur les dangers des préjugés négatifs.
Ces préjugés sont souvent source de souffrances. Ces souffrances peuvent à leur tour engendrer d’autres souffrances. Ainsi naissent les guerres. Les victimes, engendrent d’autres victimes qui deviennent souvent des bourreaux.
C’est le cycle infernal.
Nous avons pourtant le choix. Notre intelligence nous permet d’observer et de comprendre.
Nous avons la liberté de comprendre et de transformer la souffrance pour éviter les victimisations.
Dans les contes, les souffrances sont des monstres. Ils peuvent nous dévorer mais ils sont aussi les gardiens du seuil, combattus ou apprivoisés, ils nous permettent d’accéder à une porte qui nous mène à de nouvelles prises de conscience.
S’il est normal d’avoir des préjugés, il s’agit d’en prendre conscience, de les examiner à la lumière de la raison et de les transformer en pensées libres.
Peggy Snoeck
Maître spécial honoraire, formatrice et animatrice. Formatrice en « Programme de développement affectif et social » (PRODAS) et en sophro-pédagogie – analyse transactionnelle – art du conte et du « raconté ».
(cliquer ici pour des séquences ProDAS)
[1] Desclée de Brouwer