Lu pour vous

Michel Tozzi « Nouvelles pratique philosophiques à l’école et dans la cité »

 

NOUVELLES PRATIQUES PHILOSOPHIQUES

A L’ECOLE ET DANS LA CITE

 

Michel Tozzi

 

Présentation de l’ouvrage

Philosopher à l’école maternelle, primaire, en collège, en lycée professionnel, dans des médiathèques, des maisons des jeunes, des foyers de jeunes travailleurs…, ou philosopher dans un café philo, banquet philo, ciné philo, théâtre philo au cours d’une rando philo, avec une BD philo, par une consultation philo privée ou en entreprise…, ou  philosopher en prison, en maison de retraite, à l’hôpital, en pédopsychiatrie … etc. 

Dans chaque cas, de Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP) se mettent place. Cet ouvrage vise, pour un public très large (enseignants, animateurs, parents, amateurs de philo, participants à des cafés philo etc.), à :

– décrire et analyser l’émergence de ces pratiques philosophiques sociales et scolaires souvent inédites, répondant à une demande sociale et esquissant une image nouvelle de la philosophie 

– dresser un panorama de la diversité des publics, des lieux d’exercices et des méthodes utilisées ;

– inventorier les genres qui se cherchent puis se stabilisent, autour des tenants et aboutissants philosophiques ;

– préciser les objectifs et les présupposés philosophiques, politiques ou didactiques impliqués, les méthodologies, dispositifs et supports privilégiés 

– exposer quelques-unes des controverses souvent passionnées soulevées par ces nouvelles pratiques philosophiques.

Présentation de l’auteur

 

Michel Tozzi est philosophe, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université Montpellier 3. Il a écrit de nombreux articles et ouvrages pour rendre la philosophie populaire, à l’intention des adultes comme des enfants.

Animateur depuis 1996 du café philo de Narbonne, co-fondateur de l’Université populaire de Narbonne en 2004, il anime des ateliers de philosophie pour adultes et pour enfants. Praticien dans les classes de tous niveaux, formateur d’enseignants à l’animation de discussions à visée philosophique, chercheur en didactique de la philosophie, il est rédacteur en chef de la revue internationale de didactique de la philosophie, Diotime, à laquelle cet ouvrage renvoie souvent (www.educ-revues.fr/diotime). Il est expert pour l’Unesco sur la philosophie à l’école primaire depuis 2007.

 

 

 

 

 

Plan de l’ouvrage

Préface

Introduction 

Répondre à l’irruption d’une demande sociale et scolaire de philosophie

Première partie

Apprendre à philosopher à l’école : quoi de neuf ?

 

Chapitre 1 – Une révolution dans les représentations et les pratiques :

la philosophie à l’école primaire

Chapitre 2 – La philosophie au collège

Chapitre 3- La philosophie en lycée professionnel

Chapitre 4 – La philosophie au lycée général et technologique

Chapitre 5 – Renouveler l’apprentissage du philosopher en classe terminale

Chapitre 6 – Philosophie et soin de l’âme

Deuxième partie

Des pratiques sociales innovantes de la philosophie dans la Cité

 

Chapitre 7 – Le mouvement des cafés philo

Chapitre 8 – Le banquet philo

Chapitre 9 – Le réseau des Universités populaires et les pratiques philosophiques

Chapitre 10 – Le ciné philo

Chapitre 11 – Le théâtre philo

Chapitre 12 – Bande dessinée et philosophie

Chapitre 13 – La rando philo

Chapitre 14 – Un type particulier de dialogue :

la consultation philosophique en entretien duel

Chapitre 15 – La philosophie en entreprise

 

Troisième partie

Les enjeux des Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP)

 

Chapitre 16 – Est-ce bien de la philosophie ? Les enjeux philosophiques et didactiques

A) Les enjeux philosophiques

B) L’enjeu didactique : élaborer une didactique de l’apprentissage du philosopher

Chapitre 17 – Des enjeux linguistiques et langagiers

Chapitre 18 – Un enjeu politique, démocratique : vers une « citoyenneté réflexive »

Chapitre 19 – Le rôle de l’enseignant à l’école, et du philosophe praticien dans la cité

A) A l’école

B) Dans la cité

Chapitre 20 – (Se) Former aux Nouvelles Pratiques Philosophiques

Chapitre 21 – Que nous dit la recherche sur la question des NPP ?

Conclusion

Quel avenir pour ces pratiques 

 

NOUVELLES PRATIQUES PHILOSOPHIQUES

A L’ECOLE ET DANS LA CITE

 

Michel Tozzi

 

Introduction 

Répondre à l’irruption d’une demande sociale et scolaire de philosophie

 

Quelques dates significatives 

NPP (Nouvelles Pratiques Philosophiques) ?

Des formes diversifiées

Une demande sociétale

Quelques dates significatives 

1992 : 1er café philo lancé en France à Paris par Marc Sautet, au Café des phares, place de la Bastille.

1996 : lancement de l’atelier philo en maternelle d’Agnès Pautard à Lyon, dans le cadre de l’Agsas (Association des groupes de Soutien au Soutien de Jacques Lévine).

-Intervention de philosophes en Segpa dans l’opération « Carré de nature, carré de culture » à la Fondation 93 (Centre culturel scientifique), à l’initiative de son directeur, Alain Beretestsky.

1997 : premières rencontres internationales des animateurs de cafés philo à Marseille.

1998 : 1ère formation aux nouvelles pratiques de philosophie avec les enfants dans les Iufm de Caen (Marc Bailleul) et Clermont-Ferrand (Emmanuelle Auriac).

-Début du suivi d’un atelier, du CP au CM2, à Montpellier, par Anne Lalanne.

1999 (mars) : publication du premier numéro de Diotime, revue internationale de didactique de la philosophie, par le CRDP de Montpellier (Emile Gaspari, Michel Tozzi et Oscar Brénifier). 52 numéros parus en mars 2012.

2000 : 1er thèse à Strasbourg 2 sur la philosophie en éducation adaptée, par J.-C. Pettier

2001 : 1er colloque sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques à l’INRP, à l’initiative de la Fondation 93, M. Tozzi et J.-C. Pettier. Il y en aura un chaque année, qui se tient depuis 2007 à l’Unesco.

2002 : lancement de l’Université populaire de Caen par l’équipe de Michel Onfray, avec son atelier de philo pour enfants (Gilles Geneviève).

Rencontre sur la 10ième année des cafés philo à Noisy-le-Grand, organisée par Eugène Calschi.

2003 : constitution d’un pôle de recherche sur la philosophie avec les enfants à l’Université Montpellier 3 par Michel Tozzi (Thèse de Gérard Auguet sur la discussion philosophique comme « nouveau genre scolaire de Sylvain Connac en 2004 sur cette pratique en ZEP etc. Nombreux masters et thèses soutenus depuis).

2006 : publication en kiosque de Philosophie magazine, bimensuel puis rapidement mensuel.

2009 : lancement de six groupes de travail par l’association Philolab (Claire de Chessé, Jean-Pierre Bianchi) à destination de l’Unesco (philoenfant, philocursus, philoformation, philosoin, philocité, philotravail).

2010 : 10ième Rencontres sur les NPP à l’Unesco, lors de la Journée Mondiale de la Philosophie.

2011 : lancement, à l’intention de l’Unesco, d’un appel pour la création d’un réseau international de philosophie avec les enfants, signé par Philolab, Sophia (association europeéenne pour la philosophie), et l’ICPIC (Conseil international de philosophie avec les enfants).

 

NPP (Nouvelles Pratiques Philosophiques) ?

Philosophie avec des élèves de maternelle ou primaire, de collège, de lycée professionnel, dans des médiathèques, des maisons des jeunes, des foyers de jeunes travailleurs etc. Café philo, banquet philo, ciné philo, théâtre philo, rando philo, BD philo, consultation philosophique privée ou en entreprise. Philosophie en prison, en maison de retraite, à l’hôpital etc. 

On appelle ces activités concernant des méthodes, des publics et des lieux nouveaux les NPP : Nouvelles Pratiques Philosophiques. L’expression demande à être explicitée.

– On parle de pratiques. Nous entendons par pratique une activité humaine et sociale finalisée.

Il s’agit de pratiques réflexives pour les participants, et de pratiques d’accompagnement à l’élaboration d’une pensée pour les responsables de ces activités : on parle d’ailleurs de plus en plus à leur sujet de « praticiens philosophes », nouvelle figure philosophique convoquée (personnage conceptuel dirait Deleuze), subsumant celle, classique de l’enseignant, mais moins traditionnelle en philosophie, celles de l’animateur ou du consultant.

– Ces pratiques sont dites « philosophiques », parce qu’elles visent toutes à faire réfléchir rationnellement leurs participants sur des questions existentielles et essentielles pour l’homme, et à développer une attitude réflexive devant la vie, son sens, les valeurs ; bref à apprendre à « philosopher ».

Cette appellation est très controversée, notamment par certains philosophes, et fait débat entre les philosophes eux-mêmes. Certains soutiennent que la philosophie serait assurément dans les œuvres des grands philosophes, peut-être dans les cours de philosophie faits par des professionnels, certainement pas dans un café, lieu de boissons et d’opinions, ou dans l’échange avec des enfants, bien incapables de pensées aussi abstraites… Nous y reviendrons.

– Ces pratiques enfin sont dites « nouvelles » : notamment par l’extension de leur public (exemple : les jeunes enfants), ou des lieux investis (hors école et université), apparemment improbables pour la philosophie, comme le café ou l’entreprise…

C’est aussi un point discuté : sont-elles si nouvelles ? Socrate philosophait dans la rue (le café n’est pas loin), en déambulant (quid de la rando philo ?), devisant avec tout un chacun, et même un esclave (la philosophie devrait-elle être « populaire », comme le désirait Diderot ?), ou à la palestre avec un jeune adolescent (dans le Lysis), et il philosophait dans des banquets bien arrosés… Cette question du nouveau ou du renouvelé, de l’innovation en rupture ou de la filiation revendiquée est ici posée.

Mais ces pratiques sont surtout nouvelles dans leurs méthodes pour faciliter la réflexion, leur façon de « philosopher autrement » que de façon traditionnelle, académique, scolaire, transmissive en privilégiant particulièrement l’échange, de manière fort peu académique par rapport à l’image convenue du « maître en philosophie » qui délivre sa « leçon ». D’où de vives réactions institutionnelles et corporatives des défenseurs du « temple philosophique ».

Nouvelles Pratiques Philosophiques donc.

Ces pratiques ont une histoire. La philosophie avec les enfants est née dans les années 1970 avec Matthew Lipman aux Etats-unis. La consultation philosophique est théorisée par Achenbach dans les années 1980. C’est Marc Sautet qui lance en France le premier café philo en 1992 place de la Bastille, et Michel Onfray une Université Populaire en 2002…

Cet ouvrage vise, pour un public très large, à décrire cette émergence de pratiques philosophiques sociales et scolaires nouvelles à tenter d’en dresser un panorama, avec la diversité de leurs publics, de leurs lieux d’exercices et des méthodes utilisées ; à inventorier les « genres philosophiques » qui se cherchent ou se stabilisent, leurs tenants et aboutissants à préciser les objectifs poursuivis, les présupposés philosophiques, politiques, didactiques qu’ils impliquent, les méthodologies, dispositifs et supports qu’ils convoquent, ainsi que les controverses souvent passionnées qu’ils soulèvent.

Des formes diversifiées

La philosophie – en occident en tout cas, car peut-on soutenir sérieusement qu’il n’y aurait de philosophie qu’occidentale – est une forme culturelle qui est apparue en Grèce dans l’Antiquité, en même temps d’ailleurs que la démocratie, certaines formes de science et de droit (c’est ce que le grand helléniste Jean-Pierre Vernant a repris sous la formule du « miracle grec »). Elle a cherché à développer une forme rationnelle de pensée (le logos), et non mythique (le mutos), sur les problèmes de l’existence humaine, de façon à mener une vie bonne (Aristote), raisonnable (par des plaisirs simples et mesurés, comme Epicure, ou la visée de la vertu, comme les stoïciens). Elle est devenue dans l’histoire une discipline spécifique reconnue par son apport réflexif à l’humanité dans les domaines de la métaphysique, de l’épistémologie, de l’éthique, de la politique, de l’esthétique…

On peut formuler de façon simple la question didactique que pose son enseignement à l’école, et plus généralement son développement dans la cité : comment favoriser chez chacun le développement d’une pensée réflexive sur notre rapport au monde, à autrui, à nous-mêmes, comment faciliter l’apprentissage d’un « penser par soi-même » ? Comment accompagner le mieux possible la possibilité de chacun de vivre bien ?

A questions simples, réponses complexes et controversées.

Le système éducatif français propose par exemple sa solution pour des élèves de classe terminale : en s’inspirant du cours d’un professeur, en étudiant la pensée des grands philosophes, en rédigeant des dissertations. Mais pourquoi ne pas philosopher beaucoup plus tôt (comme en Italie, en Espagne, au Portugal, en Algérie ou au Burkina-Faso) ? Pourquoi priver les élèves de lycées professionnels de philosophie, alors que celle-ci est présente dans tous les autres baccalauréats ? Pourquoi essentiellement apprendre par des cours que l’on écoute sans être plus actif, alors que l’on pourrait davantage discuter ? Pourquoi réfléchir sur des questions d’aujourd’hui uniquement par l’étude de philosophes morts ? Pourquoi le seul genre scolaire de la dissertation comme voie royale de l’apprentissage?

Chacun de ces points peut être justifié, mais aussi critiqué : il doit en tout cas prouver sa pertinence. Car ici on fait de la philosophie avec des enfants ou des adolescents là on débat en groupe avec des exigences intellectuelles ici on s’intéresse aux philosophes actuels là on va rédiger d’abord un essai, et non une dissertation (comme au Québec), ou passer une épreuve d’exercice oral (comme dans le canton Suisse de Fribourg) etc.

Les réponses au meilleur moyen d’apprendre à philosopher sont diverses. Différentes aujourd’hui selon les pays : la philosophie est inexistante en Arabie Saoudite ou à Oman, même dans l’enseignement supérieur, car cela pourrait être dangereux pour des esprits religieux elle est peu développée dans le secondaire des pays anglo-saxons, car on préfère réfléchir avec les sciences humaines (les « humanities ») en Italie on accordera beaucoup d’importance à l’histoire de la philosophie sur les trois années du lycée, alors que M. Lipman ne nomme jamais explicitement dans sa méthode un seul philosophe ici on va apprendre « la philosophie » et son histoire, là on va apprendre à « philosopher » ici on va se préoccuper essentiellement de réfléchir (France), là on va apprendre à décider pratiquement en fonction de valeurs clarifiées et hiérarchisées (Belgique) etc.

Une demande sociétale de philosophie

Pourquoi cette émergence aujourd’hui de formes diversifiées de pratiques philosophiques?

A cause peut-être de certaines tendances sociétales lourdes, qui en appellent à la philosophie comme recours, tout comme la philosophie de son côté se sent requise pour interpréter le sens de cette (post- ?-) modernité.

La fin du monopole culturel des transcendances religieuses (“ Dieu est mort ” selon Nietzsche, la vie est absurde selon Camus) et l’effondrement des “ grands récits ” révolutionnaires (F. Lyotard), ce “ désenchantement du monde ” en Occident (M. Gauchet), rendent au niveau individuel l’impasse de la mort plus aiguë, et au niveau collectif l’avenir de lendemains qui chantent improbable. L’appel à une religiosité où les tentations sectaires et fondamentalistes traduisent ce désarroi.

La surdétermination de la sphère économique dans les motivations des individus structure la construction identitaire du sujet sur l’avoir d’une société de consommation qui ne répond pas ou plus à l’exigence d’être. L’industrialisation sauvage et polluante, le processus proliférant de l’urbanisation ont coupé l’homme de la nature. La rationalité instrumentale de la technique touche, à travers les biotechnologies, à l’identité même de l’espèce humaine. L’épistémologie contemporaine et les “ dégâts du progrès ”, la conscience écologiste ont eu raison d’une idéologie positiviste du bonheur par la science.

Emerge un individu solitaire sur lequel pèse la lourde responsabilité, dans des cadres normatifs plus diversifiés et moins contraignants, de construire lui-même des relations plus fragiles aux autres, d’inventer ses propres valeurs, dans l’angoisse d’une liberté condamnée à choisir sa destinée sans en avoir tous les moyens.

Quand le sens n’est plus imposé par un antérieur, un extérieur et un supérieur, il fait problème quant à la signification à lui donner et à la direction à prendre. Un sens mis en question, un sens mis à la question ne peut que renvoyer à l’interrogation philosophique, aux principes et au fondement de son existence, dans l’énigme de son origine, l’opacité de son identité et l’aléatoire incertitude de son devenir individuel et collectif.

C’est ainsi la crise du sens à laquelle est confrontée l’homme post-moderne qui creuserait une demande de philosophie, parce qu’il est ramené aux questions principielles. On peut la mesurer à l’audience de la philosophie dans la société française.