Petits cheminements vers la philosophie /Suggestions de livres pédagogiques par Jean Cornil

Petits cheminements vers la philosophie.

Suggestions de livres pédagogiques.

 Jean CORNIL

Comment et par où entrer en philosophie, quand on n’a pas eu la chance de bénéficier de ce que André Comte-Sponville appelle une éducation philosophique ?

Quels chemins emprunter pour se construire un modeste mais noble itinéraire vers cette imposante et touffue contrée la plus souvent interdite d’école , de médias, et des débats politiques et sociétaux où les références intellectuelles sont rachitiques et où les perspectives s’arrêtent le plus souvent à après-demain ?

Voici quelques suggestions de voyages vers la curiosité, l’étonnement, la question, la problématique, voire la sagesse et la vie bonne. Elles sont par essence subjectives et arbitraires mais ces humbles guides existentiels m’ont permis de mieux me situer face à la vertigineuse tradition philosophique, aux textes les plus denses et les plus difficiles, aux montagnes censées infranchissables vers les hauteurs de la vie de l’esprit et de la complexité de nos univers.

Soyons clairs. Nulle prétention à être l’avocat de tel ou tel auteur, à défendre tel courant plutôt que tel autre, à m’inscrire dans les pas des sommités d’érudition et de profondeur. J’ai, comme chacun, mes penchants et mes préférences, le matérialisme plutôt que l’idéalisme, l’hédonisme de Lucrèce plutôt que la vertu morale d’Epictète, la joie de Spinoza plutôt que la rectitude de Descartes, la dynamite de Nietzsche plutôt que l’esprit de Hegel, la complexité de Edgar Morin plutôt que la liberté de Sartre. Mais peu importe mes goûts qui, on le sait depuis Pierre Bourdieu, se discutent. Je cherche simplement à gambader entre les échoppes savantes. Avec une seule règle. L’accès aisé, amusant et stimulant, aux monuments mille fois revisités. Une pédagogie des conceptions du monde qui s’affrontent. Après, chacun y apportera le sens qui lui appartient.

Je vous propose dix entrées qui m’ont toutes séduit par leur caractère didactique et fortifiant. Ces cheminements toniques sont limités à des livres récents. Bien d’autres vecteurs vers une vie philosophique sont évidemment envisageables. Comme l’évoque Pierre Hadot, le philosophe n’est pas celui qui écrit des livres de philosophie mais celui qui tente de vivre en philosophe. Premières approches donc, par le biais des mots imprimés, pour se risquer à approfondir sa compréhension de soi, des autres et du monde. De solides béquilles pour construire et densifier sa vision du monde comme son prétoire intérieur.

« La philosophie en clair » de Michel Puech , Ellipses, 2004. Le choix de vulgariser dix grands auteurs, de Platon à Wittgenstein, pour les rendre accessibles à tous. Remarquablement pédagogique par le découpage des chapitres sous forme de fiches.

« Philosopher, et si c’était facile ? » de Jean-Paul Jouary, Milan,2008. Une lumineuse invitation à philosopher sous forme de questions, comme « Pourrions-nous penser sans les mots ? », « Une vengeance peut-elle être juste ? », ou « le bonheur dépend-il de moi ? ». Un parcours progressif et en douceur.

« La philosophie sans complexe » de Denis Huisman et André Vergez, Hugo et Cie/ Bourin Editeur, 2009. Classique dans la présentation des notions, le désir, le temps, l’art, la vérité, la justice, mais magnifiquement explicité avec petits encarts et dessins.

« La plus belle histoire de la philosophie » de Luc Ferry et Claude Capelier, Robert Laffont, 2014. Et les 26 volumes, avec CD audio, où Luc Ferry raconte le parcours de la philosophie, à partir des mythes grecs jusqu’aux enjeux contemporains, en évoquant avec précision les œuvres de Rousseau, Tocqueville, Kant, Marx ou Karl Popper. Prodigieusement pédagogique et lumineux par les étapes développées, du cosmos antique à la déconstruction moderne.

« Une brève histoire de la philosophie » de Roger-Pol Droit, Flammarion, 2008. Un angle classique de Platon à Nietzche mais une explicitation limpide de chaque auteur comme Epicure, Augustin, Montaigne, Machiavel, Diderot ou Hegel. D’une remarquable clarté dans une superbe langue.

« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. Petite histoire de la philosophie en 32 citations » de Matthias Leboeuf, Tallandier, 2009. A partir d’une citation d’un auteur, de Socrate à Deleuze, en passant par Hobbes, Pascal, Proudhon ou Camus, Mathias Leboeuf déroule le fil conducteur et la logique de chaque conception du monde avec une précision et un sens didactique exceptionnel.

· « L’étonnement philosophique. Une histoire de la philosophie » de Jeanne Hersch, Galimard, 1981. Une référence exigeante mais parfaitement compréhensible et d’une toute grande rigueur. A souligner les chapitres sur la Renaissance et ceux sur Kierkegaard, Husserl, Heidegger et Jaspers.

« Contre histoire de la philosophie » de Michel Onfray, en 9 tomes, Grasset, à partir de 2006, des « sagesses antiques » aux « Consciences réfractaires », en passant par « le christianisme hédoniste » et « l’eudémonisme social ». Un magnifique panorama alternatif, remarquablement bien écrit, des matérialistes, de Démocrite à Willem Reich, de Lucrèce à Pierre Gassendi, de Charles Fourier à Jean-Marie Guyau, souvent oubliés dans l’histoire « officielle » de la philosophie.

« Penser sa vie. Une introduction à la philosophie » de Fernando Savater, Editions du Seuil , 2000. Une belle introduction à la pensée par des thèmes éternels comme « la mort pour commencer », « les vérités de la raison », « vivre ensemble » ou « la vie sans pourquoi », judicieusement explicités et qui nous plonge dans les profondeurs des questions essentielles.

Enfin pour terminer, « Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire, de l’univers magique ou tourbillon créateur » de René Passet, Les Liens qui libèrent, 2010. Une véritable somme des savoirs disponibles qui va bien au-delà de la philosophie au travers de l’histoire, de l’évolution des sciences et des grandes théories de l’économie. Toutes ces étapes sont mises en parallèle et en interdépendance. Absolument passionnant et indispensable pour tenter de comprendre les enjeux cruciaux du présent en élaborant une véritable vision globale de la complexité du réel.

Il y a bien évidemment nombre d’ouvrages plus ou moins spécialisés de toute haute qualité, de l’histoire de la philosophie antique et médiévale de Lambros Couloubaritsis aux récits de Charles Pépin, de Raphaël Enthoven, de Pascal Chabot ou de Lucien Jerphagnon, des panoramas de Jean-Michel Besnier à la Pantopie de Michel Serres, des œuvres de Peter Sloterdijk aux vulgarisations de Richard David Precht ou de Luciano De Crescenzo,…. Le choix de ces dix livres est donc, je le répète, totalement subjectif et n’exclut en rien de gravir le sentier escarpé de la connaissance muni dans ses bagages d’une quantité impressionnante d’autres lectures captivantes.

Voilà donc quelques balises, quelques phares pour se situer pédagogiquement parmi les connaissances incommensurables du temps, se risquer à devenir « un spécialiste des idées générales » selon la formule de Edgar Morin, choisir le chemin ardu de la philosophie où selon les mots de Fréderic Nietzsche dans Ecce homo, il plane « un air des hauteurs, un air mordant… la glace est proche, la solitude effrayante mais comme les choses y baignent paisiblement dans la lumière « .

Pour poursuivre la réflexion avec Jean Cornil : Consultez également notre dossier consacré à sesentretiens avec des philosophes.